Revenir

Souvenir de Michel Bignier

Michel Bignier était sorti de l’X (promotion 1947) dans le corps des Ingénieurs de l’Air et, bien qu’il ait fait la plus grande partie de sa carrière dans des organismes civils, il était resté très fidèle à cette origine. Il compléta sa formation d’abord à Sup Aéro puis, après avoir rejoint le Centre d’Essais en Vol que dirigeait l’ingénieur général Bonte, il suivit les cours de Sup Télécom. C’est muni de cette

Michel Bignier

double formation aéronautique et électronique qu’après quelques années passées au CEV, il rejoint en 1957, le Centre Interarmées d’Essais d’Engins Spéciaux de Colomb Bechar. Le CIEES, que dirigeait le général Aubinière, est le creuset où ont été formés un grand nombre des futurs cadres du CNES et où ils ont rencontré les industriels qui allaient construire l’industrie spatiale. C’est de là aussi qu’a été importée, dans le spatial naissant, la doctrine du “faire faire” propre à l’Armée de l’Air, par opposition à la pratique des arsenaux qui prévalait ailleurs.

De retour de Colomb Bechar, en 1960, Michel Bignier se retrouve sous la coupe d’Aubinière qui a remplacé Bonte dans les fonctions de Directeur Technique et Industriel. Aubinière le fait appeler et lui dit ( je cite les mots de la bouche même de Bignier) : « “ Le général de Gaulle va faire le CNES et on va me nommer directeur général. Etes- vous prêt à venir avec moi ? ” J’ai tout de suite dit oui ». Il se trouve alors placé auprès du professeur Auger, de septembre 1960 à mars 1962, dans la toute petite équipe chargée de mettre en place le CNES. Il y assure le secrétariat du Comité des Recherches Spatiales qui était en quel- que sorte le précurseur du CNES et surtout il s’emploie à établir le texte de la loi qui a créé le CNES.

Avec cette création, en 1962, il est nommé directeur des affaires internationales, poste qu’il occupera, avec des attributions élargies à l’ensemble des relations extérieures et à la politique industrielle, jusqu’à ce qu’il prenne la succession d’Aubinière à la direction générale en 1972.

Il n’y a guère de domaines de l’activité du CNES sur lequel il n’ait exercé son influence à sa manière discrète et modeste, car il était de ceux qui préfèrent agir à paraître. Je n’en prendrai pour exemple que le rôle déterminant qu’il a joué dans la gestation du programme Symphonie. Symphonie qui fut, rappelons-le, le premier satellite de télécommunications construit en Europe et qui apportera, avec la maîtrise de la stabilisation trois-axes, une éclatante démonstration de la capacité industrielle européenne. Le CNES, à l’époque, hésitait beaucoup à quitter le domaine de la science pour s’engager dans celui, plus aventuré, des applications de l’espace. Michel Bignier et moi-même partagions l’opinion qu’il fallait franchir ce pas et que les télécommunications étaient pour l’espace une terre promise. Elaborer un projet – ce fut initialement SAROS – n’était pas le plus difficile. S’assurer le soutien des responsables des télécommunications, généralement hostiles au spatial et assez mal disposés à l’endroit du CNES, était une tâche plus délicate. Nous avions l’un et l’autre des relations amicales dans ce milieu, mais je dois reconnaître que c’est le génie de la convivialité de Michel Bignier qui, en ces circonstances, fit merveille et qui permit au général Aubinière et au président Coulomb de soumettre au gouvernement une proposition consensuelle. Le gouvernement dit : Oui, mais faites le de moitié avec les Allemands. Restait à obtenir l’agrément de ces derniers et c’est une tâche dans laquelle, naturellement, Michel Bignier excella, comme il excella dans la gestion des quelques tensions qui, inévitablement, marquèrent le cours de ce grand projet. Le succès technique de Symphonie, son effet d’entraînement sur les ambitions européennes, le rôle capital qu’il joua dans la reconnaissance, par les Européens, de la nécessité d’une capacité de lancement autonome, tout cela doit énormément à la personnalité de Michel Bignier.

Sa démission du CNES, en 1976, à la suite d’un conflit avec les syndi- cats et avec le président permit, à ceux qui ne le savaient pas, de mesu- rer que, malgré son refus des conflits inutiles, il y avait des choses avec lesquelles il ne transigeait pas. Entré dans l’équipe de direction de l’ESA – où nous nous sommes retrouvés – il y fut d’abord chargé de remettre sur rail le programme Spacelab, ce dont il s’acquitta brillamment. Puis ses responsabilités furent étendues au programme Ariane et aux expériences sur la microgravité. Dans ce milieu humain assez difficile, parce que s’y confrontent les rivalités nationales et l’indispensable solidarité européenne, il trouva à employer ses immenses qualités de gestionnaire et de conciliateur.

Il faudrait, pour être complet parler de son rôle dans le domaine de l’assurance spatiale et dans les activités associatives marqué par les présidences de l’ANAE – dont il fut avec Hubert Curien et André Turcat – l’un des fondateurs, de la AAAF, et par la création de l’Institut Français d’Histoire de l’Espace. Mais je dois, pour conclure, essayer de dire qui était l’homme que j’ai connu. Michel Bignier était, on le sait, un joyeux compagnon dont la présence suffisait à égayer une soirée et à répandre une ambiance amicale. Il était un admirable conteur plein de malice et d’invention. Mais il était surtout un homme droit ; son goût de la conciliation s’effaçait toujours derrière le refus de la complaisance et de la compromission. Et nous savions tous aussi, malgré sa grande discrétion, combien comptait pour lui le solide cercle familial qui l’entourait. Michel Bignier était mon ami et je m’honore de cette amitié. Nous avons fait ensemble une longue route sans nuage. C’est peu de dire que je l’estimais profondément ; j’avais pour lui de l’affection et surtout, il était de ceux dont j’étais soucieux de mériter l’estime.

André Lebeau

Ancien président du CNES

Article paru dans la revue Espace & Temps n°1 – Juillet 2007

© 2023 Institut Français d'Histoire de l'Espace · Tous droits réservés