Première expérience française d’astrophysique nucléaire en satellite
Par Mme L. Koch, Service d’Electronique Physique du Centre d’Etudes Nucléaires de Saclay (C.E.A.).
Le 17 mai 1968, l’Organisation européenne de recherche s spatiales (CERS-ESRO) publiait son premier « communiqué de victoire »au sujet d’un satellite :
« Le 17 mai 1968 à 3 heures 06, heure de Paris, le premier satellite européen, IRIS, a été lancé à l’heure prévue par une fusée Scout depuis le Western Test Range à Vandenberg (Californie). Le satellite a été placé sur une orbite très proche de l’orbite prévue. Le périgée de l’orbite obtenue est de 326 km, l’apogée de 1 086 km. Le satellite tourne autour de la Terre avec une période de 98,9 mn. L’inclinaison de l’orbite par rapport à l’équateur es de 97,2°, ce qui conduira à 192 jours d’illumination solaire continue. Ces conditions sont idéales pour la mission scientifique que doit remplir le satellite IRIS. »
De poids modeste (70 kg) mais très complexe, le satellite IRIS porte 7 expériences scientifiques qui étudient les rayonnements d’origine principalement solaire. Sur ces sept expériences, cinq sont anglaises, une hollandaise et une française, réalisée par le Centre d’Etudes Nucléaires de Saclay;
Les données sceintifiques transmises par ces expériences sont reçues par les réseaux européens (ESTRAC) et français (CNES) et traitées en temps réel sur les calculateurs du Centre européen de traitement de données (ESOC).
Buts scientifiques de l’expérience française
La première expérience française d’astrophysique nucléaire en satellite, conçue par le Service d’Electronique Physique en 1963, essaye de répondre à 3 questions :
- Quelle est l’origine et quels sont les modes d’accélération des particules nucléaires contenues dans la ceinture intérieure de van Allen ? On étudie pour cela l’intensité et le spectre d’énergie de ces particules et leurs variations temporelles.
- Quel est le rôle respectif de l’atmosphère solaire turbulente au-dessus des taches solaires explosives et celui du plasma interplanétaire en tant qu’accélérateurs de particules nucléaires ? Celles-ci sont-elles produites par des réactions nucléaires ou thermonucléaires ?
- Comment sont modulées, en fonction du cycle d’activité solaire et en particulier pendant une éruption à protons, les abondances relatives des particules nucléaires des protons aux noyaux de carbone d’origine probablement galactique ?
C’est dans l’anomalie magnétique de l’Atlantique Sud que la ceinture intérieure de radiations de van Allen se rapproche le plus de la Terre. C’est donc là que peuvent être étudiés le plus commodément les protons, alphas et électrons enroulés dans les lignes de force du champ géomagnétique. L’origine de ces particules et leur mode d’accélération – probablement au voisinage des limites de la magnétosphère – sont encore inconnus.
L’éruption à protons est le phénomène le plus puissant et le plus variable de l’activité solaire. Les taches solaires, qui sont connues au moins depuis Galilée, sont le siège de phénomènes explosifs au cours desquels de nombreuses radiations électromagnétiques et nucléaires sont émises.
L’éruption à protons se manifeste par une énorme libération d’énergie, de 1032 ergs au moins. Cette énergie, libérée sous forme plus ou moins explosive (quelques minutes à quelques jours), crée des perturbations dans le système solaire tout entier, en particulier dans l’environnement terrestre : oages géomagnétiques, affaiblissement du bruit radiogalactique, perturbations des liaisons radioélectriques, accroissement du taux de comptage des compteurs à neutrons situés au niveau du sol, etc. Cependant, les processus d’accélération – très efficaces semble-t-il – de ces particules nucléaires de quelques keV à quelques GeV dans l’atmosphère solaire ou le plasma interplanétaires sont encore inconnus.
Par ailleurs un intérêt pratique s’attache à cette étude. En effet les éruptions à protons constituent un danger certain pour les équipages des avions stratosphériques, les passagers des futurs Concorde, et, a fortiori, pour les cosmonautes. C’est ainsi que lors de l’éruption du 12 novembre 1960, on a pu évaluer à 1 850 rads la dose intégrée qu’aurait reçu un objet situé au voisinage de la Terre et hors de l’atmosphère pendant toute la durée de l’éruption. La prévision de l’arrivée de ces particules nucléaires dans l’environnement terrestre est donc d’un intérêt vital pour l’humanité
Le spectromètre à semiconducteur du satellite IRIS
L’appareil que le Service d’Electronique Physique, en collaboration avec le Service d’Instrumentation Nucléaire du Centre de Saclay, a placé sur ce satellite est un spectromètre à semiconducteurs. Il est constitué de 2 diodes en silicium en forme de disques de même axe, distantes de quelques centimètres. Ce télescope est entouré par un cylindre formé de 4 diodes rectangulaires qui donnent un signal de « veto » lorsqu’une interaction nucléaire s’est produite au voisinage des détecteurs.
la perte d’énergie d’une particule chargée incidente dans l’une des diodes du télescope est analysée en 256 canaux et transmise au sol par télémesure. Le flux incident du rayonnement nucléaire est également transmis car toutes les particules comptées ne peuvent être analysées, en raison de la capacité de la télémesure. On peut ainsi déterminer l’énergie des protons entre 30 et 200 MeV et la charge des particules dont la vitesse est proche de celle de la lumière, depuis l’hydrogène jusqu’au carbone.
A Saclay nous avons reçu, dès le 26 mai 1968, les premières bandes magnétiques contenant nos résultats scientifiques et les données auxiliaires caractérisant chaque orbite. Nous avons pu ainsi analyser, en collaboration avec le Département de Calcul Electronique, les passages du satellite dans les zones de l’anomalie magnétique de l’Atlantique Sud (du Brésil à l’Afrique du Sud) et la première éruption solaire de la vie de ce satellite, lors de ses passages dans la calotte polaire Sud, entre le 9 et 10 juin 1968.
La rapidité avec laquelle ces résultats scientifiques ont pu être acquis s’explique par un fonctionnement excellen de toute la chaîne complexe constituée de notre appareil, de la transmission des données au sol, de leur réception et de leur traitement à l’ESOC et enfin du traitement scientifique à saclay. Quatre ans d’études ont été nécessaires pour obtenir ce résultat.
Notons qu’à cette occasion un nouveau type de collaboration s’est instauré entre le C.E.A. et le Centre national d’Etudes Spatiales (CNES), qui reçoit en temps réel les données pendant quelques minutes par jour.
Cette première réussite spectaculaire confirme le rôle important que peut jouer l’astrophysique nucléaire dans le cadre de la recherche fondamentale au Commissariat de l’Energie Atomique.
Article paru dans la revue du CNES « La Recherche Spatiale – Volume VII – N° 10 – Octobre 1968 ».