Le programme FR-1
par J.-C. Cerisier, maître-assistant au Groupe de Recherches Ionosphériques (GRI).
Le programme FR-1, dont les premières idées, dues à LRO Storey, sont antérieures à la création du CNES, a été la première expérience scientifique française embarquée à bord d’un satellite. Elle avait pour objectif l’étude de l’ionosphère et de la magnétosphère à partir de la propagation d’ondes radioélectriques de très basse fréquence (TBF).
Dans un milieu ionisé, l’énergie de ces ondes TBF se propage approximativement le long des lignes de force du champ magnétique ambiant avec une vitesse qui dépend de la fréquence. C’est ainsi que se propagent, par exemple, les ondes issues d’éclairs atmosphériques et qui, après un trajet dans la magnétosphère, reviennent au sol avec un délai variable suivant la fréquence. Si le récepteur est associé à un haut-parleur, le bruit obtenu ressemble à un « sifflement ». Par extension, le mode de propagation correspondant a été appelé mode « sifflements ». L’étude de la dispersion de ces ondes naturelles, a montré que l’atmosphère ionisée s’étendait jusqu’à au moins plusieurs dizaines de milliers de kilomètres d’altitude. En effet, la trajectoire suivie par les sifflements est approximativement une des lignes de force du champ magnétique terrestre, lesquelles culminent à une altitude d’autant plus grande que la latitude du point d’intersection de la ligne de force avec la surface terrestre est plus élevée.
Description de l’expérience
Dans l’expérience FR-1, les ondes reçues à bord du satellite étaient des ondes TBF artificielles provenant d’émetteurs situés au sol. Une partie de l’énergie ainsi émise pénètre dans l’ionosphère et se propage dans le mode des sifflements. Le « tube » des lignes de force du champ magnétique terrestre, centré sur la ligne passant par l’émetteur, se trouve illuminé par ces ondes. Le satellite peut alors les observer lorsqu’il se trouve à l’intérieur de ce tube. A relativement basse altitude, cela signifie que le satellite doit se trouver, soit au-dessus de la région proche de l’émetteur, soit au-dessus de la région magnétiquement conjuguée, c’est-à-dire là où les lignes de force, passant au voisinage de l’émetteur, recoupent la surface terrestre dans l’hémisphère opposé. L’inclinaison du plan de l’orbite avait d’ailleurs été choise de façon à ce que, pour le principal émetteur utilisé (FUB en France), le satellite survole, au cours d’une même orbite, l’émetteur et son conjugué situé en Afrique du Sud. Les deux zones de fort champ TBF pouvaient être étudiées avec un écart de temps relativement faible (de l’ordre de 20 mn), généralement inférieur au temps caractéristique de variation des paramètres du milieu. Cela permettait d’éliminer les variations temporelles dans la comparaison des ondes observées dans les deux hémisphères.
La principale originalité de l’expérience FR-1 provient de ce que l’on ne se limite pas à détecter l’onde, mais que l’on restitue la structure complète des champs électrique et magnétique qui lui sont associés. Or, cette structure dépend non seulement des caractéristiques locales du milieu, mais aussi des conditions de propagation entre l’émetteur et le satellite. Le but de l’expérience FR-1 était donc moins la découverte de phénomènes nouveaux que l’étude précise des mécanismes de propagation et leur application aux ondes TBF naturelles dont des satellites précédents (ALOUETTE-1, en particulier) avaient montré la richesse. Plus précisément, l’objectif de l’expérience FR-1 était double :
- l’étude de la propagation des ondes TBF artificielles ;
- l’étude du milieu dans lequel ces ondes se propagent et, plus particulièrement, des irrégularités de répartition de l’ionisation par leur incidence sur la propagation des ondes TBF.
Les équipements scientifiques du satellite se composaient de :
- 3 antennes cadres mesurant les trois composantes orthogonales du champ magnétique de l’onde ;
- 2 antennes dipôles, de conception nouvelle, pour le champ électrique ;
- 1 sonde de densité électronique
Les antennes électriques demeuraient le point délicat des systèmes de mesure. Des expériences préliminaires sur fusées-sondes américaines Aerobee (en octobre 1963 et en septembre 1965) avaient permis de vérifier le bon fonctionnement des solutions proposées ainsi que de tester le principe même de l’expérience. la réalisation des expériences scientifiques a été confiée au Centre National d’Etudes des Télécommunications (CNET), le CNES étant chargé de la conception du satellite et la NASA, aux Etats-Unis, des opérations de mise sur orbite. Le 6 décembre 1965, le satellite FR-1 était lancé avec succès par une fusée Scout, à partir du Western Test range (en Californie), sur une orbite circulaire à 750 km d’altitude. Prévue initialement pour une durée de trois mois, l’expérience a pu être poursuivie jusqu’en août 1968, époque à laquelle une brusque dégradation des équipements a imposé l’arrêt des mesures scientifiques.
Le dépouillement et surtout l’interprétation de la masse considérable de données acquises pendant cette période ont conduit les expérimentateurs du Groupe de Recherches Ionosphériques à rechercher une collaboration avec d’autres laboratoires, en France et à l’étranger. Celle-ci s’est réalisée avec des groupes qui ont pu trouver, dans les données fournies par le satellite FR-1, matière à faire progresser leurs propres études : « L’Imperial College » de l’Université de Londres sur les problèmes d’amplification des ondes TBF dans la magnétosphère, le « Groupe de Physique des Plasmas » de l’Université de Paris VII concerné par les études des méthodes analogiques de traitement des signaux et le « Technion » de Haïfa, dont l’intérêt porte sur la propagation et l’absorption des ondes dans les basses couches de l’ionosphère.
Propagation TBF dans l’ionosphère
La répartition de l’ionisation dans ‘ionosphère supérieure est bien connue depuis que les satellites de la série ALOUETTE/ISIS ont effectué des mesures systématiques par sondages verticaux. Le satellite FR-1 a permis, par l’association de la sonde de densité et des mesures du champ TBF, de déterminer l’influence de cette répartition sur la propagation des ondes.
Entre 55 et 60° de latitude géomagnétique, la densité électronique présente un minimum appelé « dépression de moyenne latitude » qui a été identifié comme étant la manifestation, au niveau de l’ionosphère, de la brusque chute de densité observée dans la magnétosphère (plasmapause) à des altitudes de plusieurs rayons terrestres, dans le plan équatorial. Sur le bord équatorial de cette dépression, les ondes TBF sont déviées vers l’équateur par rapport aux trajectoires qu’elles auraient suivies en l’absence de dépression. Inversement, sur le bord polaire, la déviation a lieu vers le pôle. La dépression se comporte donc comme une lentille divergente qui défocalise les ondes TBF, créant ainsi une diminution importante de l’amplitude du champ dans la région du minimum de densité. Au Sud de cette dépression, les gradients horizontaux sont beaucoup moins importants. Cependant, la faible augmentation de densité observée généralement vers les latitudes décroissantes tend à incliner la direction de propagation vers l’équateur, alors qu’en l’absence de tels gradients, ele serait verticale. En fin, aux très bassess latitudes, l’anomalie équatoriale de répartition de la densité tend également à dévier les directions de propagation, et cela de façon beaucoup plusd importante qu’aux moyennes latitudes : des angles de 120° entre la direction des vecteurs d’onde et la verticale ascendante ont été observés.
Guidage magnétosphérique des ondes TBF
Ces résultats originaux concernant la répartition des directions de propagation des ondes TBF montantes dans l’ionosphère supérieure présentent un grand intérêt car la propagation ultérieure des ondes dans la magnétosphère en dépend de façon cruciale. Nous avons dit que la propagation de l’énergie des ondes du type « sifflements » s’effectuait approximativement le long des lignes de force du champ magnétique. En réalité, deux possibilités existent : dans la première, le guidage par le champ magnétique est partiel, en ce sens que la direction de l’énergie peut s’écarter de la direction du champ magnétique d’un angle pouvant atteindre 20°, tandis que la direction du vecteur d’onde est quelconque. Dans la seconde, le guidage est parfait car l’onde est alors guidée par une fibre d’ionisation alignée exactement le long d’une ligne de force du champ. Le vecteur d’onde est alors astreint à osciller de part et d’autre de la direction du champ. Or, une onde initialement non guidée au niveau de l’ionosphère ne pourra être guidée que si la direction de son vecteur d’onde est proche de celle du champ magnétique au pied d’une éventuelle fibre d’ionisation; Les résultats obtenus par FR-1 dans la zone proche de l’émetteur ont permis de montrer :
- que les fibres d’ionisation magnétosphériques ne s’étendent généralement pas jusqu’à l’ionosphère supérieure. En effet, à l’altitude de 750 km, les ondes TBF montantes ne sont pas piégées dans de telles fibres ;
- que les gradients horizontaux de densité électronique, au niveau de l’ionosphère supérieure, contrôlent les possibilités de piégeage à une altitude supérieure des ondes dans des fibres, en modifiant l’angle entre la direction du vecteur d’onde et la direction du champ magnétique. Une corrélation positive a d’ailleurs été mise en évidence entre le taux d’occurrence des sifflements au sol et la mesure dans laquelle les vecteurs d’onde TBF se rapprochent de la direction du champ magnétique terrestre sous l’influence des gradients horizontaux de densité électronique. De plus, on remarque que ce sont essentiellement les sifflements qui ont été guidés dans la magnétosphère qui peuvent être observés au sol. Cela signifie que les gradients de densité contrôlent les conditions de guidage des sifflements.
dans la région conjuguée, les ondes proviennent de la magnétosphère en descendant le long des lignes de force. Une répartition spatiale en régions où la propagation est soit guidée, soit non guidée, soit enfin partiellement guidée (guidage sur une partie seulement du trajet magnétosphérique) a été mise en évidence. La propagation non guidée existe essentiellement à basse latitude. Le vecteur d’onde après propagation jusqu’à l’ionosphère conjuguée tend à s’orienter dans une direction proche de la perpendiculaire au champ magnétique et ceci d’autant plus que que la latitude d’observation croît. L’indice de réfraction du milieu devient très grand (il peut atteindre des valeurs de plusieurs centaines).
Aux latitudes moyennes (supérieures à 40° magnétique) qui s’étendent vers les hautes latitudes, sans qu’il ait été possible expérimentalement d’en fixer la imite, des ondes ondes sont observées. Il a été montré qu’elles avaient été guidées dans la magnétosphère mais, souvent, elles ne le sont plus au niveau de l’ionosphère supérieure. Cela montre la cohérence des résultats obtenus dans la zone proche de l’émetteur et dans la zone conjuguée qui conduisent, de façon indépendante, à la conclusion que le guidage par des fibres d’ionisation n’a lieu que dans la magnétosphère et ne s’étend pas jusqu’aux altitudes ionosphériques.
Enfin, aux latitudes plus élevées (supérieures à 58° magnétique), des ondes sont observées. elles ont été guidées sur une partie seulement de leur trajectoire, car les conditions de guidage dans des fibres d’ionisation ne sont pas vérifiées tout le long de la trajectoire (au voisinage du plan équatorial à haute altitude). Ces ondes sont observées dans la région conjuguée comme des ondes non guidées.
L’étude in situ des caractéristiques du champ TBF a permis de mieux comprendre la propagation de ces ondes dans l’ionosphère et la magnétosphère. Les résultats obtenus à partir d’ondes artificielles se sont révélés très utiles pour préciser des points restés jusqu’alors obscurs dans l’interprétation des phénomènes natures. A titre d’exemple, la faible occurrence des sifflements observés au sol, aux basses latitudes, a pu être interprétée comme étant due à l’absence de fibres d’ionisation guidantes le long des lignes de force du champ magnétique situées à ces altitudes.
En plus de son intérêt propre, la connaissance précise des mécanismes de propagation des ondes TBF est extrêmement importante pour l’étude d’autres phénomènes tels que les interactions ondes-particules qui sont la source de nombreuses ondes TBF naturelles : les ondes sont souvent observées ailleurs que dans la région de génération et il importe de connaître les conditions de propagation entre la source et l’observateur. Une bonne connaissance des mécanismes de propagation doit permettre de remonter aux paramètres de l’interaction (région de génération, direction du vecteur d’onde) et ainsi contribuer à en identifier le mécanisme réel.
Sur le plan technologique, c’est de l’expérience FR-1 que sont dérivées les nouvelles sondes actives dites « sondes quadripolaires », dont les possibilités de diagnostic sont multiples (cf. expérience CISASPE).
Article paru dans la revue CNES « La recherche spatiale » (n° 6 volume XII novembre-décembre 1973) ayant pour thématique « La géophysique externe (1re partie) ».