Petite histoire (personnelle) du CNES et de Supélec au cours des années 60 par Jean-Pierre Guinard
Le Gouvernement a créé le CNES en Décembre 1961. Peu de temps après sa création, le CNES, grâce à son Directeur Scientifique et Technique JE Blamont, a conclu un accord avec la NASA : le satellite FR1 (à vocation scientifique) était réalisé dans la cadre d’un programme franco-américain, le satellite étant fait en France, les moyens de lancement étant américains ; de plus, la NASA s’engageait à prendre en charge pendant dix mois dans ses laboratoires au Goddard Space Flight Center une équipe de douze ingénieurs, dont… Namy (recruté par Chiquet) et quelques autres. (Cf tableau ci-dessous). Toutefois, pas de coopération dans le domaine des lanceurs, considéré par les Américains comme stratégique.
D’autre part le CNES, ayant passé un contrat avec les Armées pour le développement du lanceur DIAMANT, disposant du champ de tir de Hammaguir au Sahara jusqu’à mi-1967 (Accords d’Evian), décida de construire un 2éme satellite à vocations expérimentation du lanceur et scientifique, D1 (qui s’appellera parla suite Diapason).
Le CNES avait à cette époque (1962-1965) deux besoins :
- montrer qu’il savait faire des satellites,
- faire adopter par l’industrie française les méthodes et les technologies américaines de construction des satellites et des équipements sol adaptés.
Reste que, en 1963-64, le CNES avait des besoins de recrutement. Pour les candidats désireux d’apprendre les technos nouvelles (dont j’étais, à la suite d’une rencontre avec mon binôme de Supélec, Michel Troublé), personne ne savait quel serait l’avenir du CNES, mais la présence d’un certain nombre de collègues formés à la NASA nous réconfortait…., Finalement, X Namy étant le Chef de Projet de FR1, je fus désigné comme Chef de Projet de D1 Diapason.
FR1 et D1 furent construits sous maîtrise d’œuvre CNES, les équipements de D1 étant français. Un réseau de stations et de trajectographie adapté à la poursuite de satellites, géographiquement déterminé pour les lancements des satellites français et un Centre de calcul d’orbite furent également décidés et mis en œuvre.
Les lancements de FR1 et de D1, totalement réussis [1], furent un très grand succès, à tel point que deux autres satellites furent immédiatement confirmés et que plusieurs, au stade d’avant-projet, furent décidés.
A la rentrée 1967, une révision d’organisation générale entra en vigueur. Pierre Chiquet fut nommé Directeur du Centre spatial de …Toulouse (partiellement encore à Brétigny, dans la région parisienne, mais avec vocation de déménager) consacré aux charges utiles (Satellites, Fusées-sondes et Ballons), X Namy devint Directeur Technique du CST.
Les années 1966 à 1968 furent marquées par des innovations satellites significatives ; un travail considérable fut réalisé. En même temps, la disponibilité et la puissance des lanceurs devint un problème préoccupant.
Mais, au niveau des « charges utiles de satellites» nous avions été trop vite ; au-delà des querelles de personnes, trois éléments vinrent à manquer :
- les lanceurs (le Diamant des premiers lancements, n’était pas assez puissant – celui de l’ELDO, européen, foira et fut remplacé (à partir de 1972) par Ariane: il était attendu pour lancer le satellite de télécommunications Symphonie, la grande affaire industrielle des années 70, que nous avions préparé avec les Allemands,
- une restriction budgétaire brutale pour le CNES. Tous les organismes spatiaux traversaient d’ailleurs une mauvaise passe,
- enfin, nous ne fûmes pas soutenus par la Direction du CNES dans cette passe difficile. La subvention à la disposition de la Division satellites plongeait dans des proportions de 100 à 1 entre 1968 et 1970 !
De plus, l’heure était venue de partir à Toulouse…
Vers la fin de 1969, Pierre Chiquet, Xavier Namy suivis par plus de 300 ingénieurs et techniciens, présentèrent leur démission.
L’épisode Satellites/Supélec 58 des années 60 était terminé: il a laissé la place à Lanceurs (Ariane)/Supaéro dans les années 70…
Mais les (bonnes) méthodes de développement n’étaient-elles pas en place ?
Vu d’aujourd’hui, alors que nous fêtons le 50ème anniversaire de notre sortie d’Ecole, il semble qu’il reste une incompréhension des acquis de cette période.
Elle se manifeste pour les uns par… un silence, pour les autres par une décision d’exclure de la mémoire du CNES ses premières années.
Enfin, le Général Aubinière, évidemment très mêlé à cette situation, a porté une appréciation négative sur les résultats de cette période (Cf les notes verbales de A. Lebeau sur Le Général). J’en ai été très choqué.
En tout cas, on ne pourra décrire historiquement les premières années du CNES sans lever ce préalable. Seuls Pierre Chiquet dans « En route pour les étoiles » et… moi (qui n’ai pas été aidé d’ailleurs) ont tenté une histoire de cette période.
Je souhaiterais qu’un historien prenne le problème à bras le corps et réponde à ce qui n’est qu’une hypothèse de ma part.
[1] La première satellisation fur réalisée par SEREB sur le premier DIAMANT le 25 Novembre 1965, quelques jours avant le 2ème tour des élections présidentielles de 1965, mais le satellite échoua à retransmettre les phases de vol (D’ailleurs, c’est le CNES qui fournit le premier le diagnostic de datellisation, suivi par les Américains…) FR1 fut lancé de Vandenberg (Californie) par un lanceur SCOUT le 5 Décembre 1965, D1 d’Hammaguir par le DIAMANT n° 2 le 17 Février 1966.
Texte paru dans la revue IFHE « Espace & Temps » n°5 – Décembre 2009