Le C.I.E.E.S., un champ de tir oublié
Figure 1 – Base Brigitte – base de lancement de la fusée Diamant-A.
Le C.I.E.E.S. (Centre interarmées d’essais d’engins spéciaux), implanté, de 1947 à 1967, à Colomb-Béchar en Algérie joua un rôle important dans les essais des divers types de missiles et de lanceurs spatiaux français. Rappelons, en effet, que l’intérêt opérationnel des missiles fut démontré par l’armée allemande à la fin de la seconde Guerre mondiale et que, dès 1946, la France, comme les autres puissances victorieuses, s’engageait dans cette voie.
C’est donc en novembre 1946 qu’une mission vint à Béchar étudier les possibilités de l’endroit qui offrait de multiples avantages : la présence d’une base aérienne, une oasis et deux voies ferrées dont une la reliait à la côte. De plus, les vastes territoires aux alentours et les conditions météorologiques favorables en faisaient un endroit idéal pour les essais de missiles.
Le 24 avril 1947 le Centre d’essais d’engins spéciaux, le C.E.E.S est donc créé. L’année suivante, ce centre devenait interarmées répondant dès lors aux besoins tant de l’Armée de Terre pour ses missions sol-sol et sol-air que de l’Armée de l’Air pour ses engins air-air, air-sol, sol-sol et sol-air, la Marine n’étant pas partie prenante dans le C.I.E.E.S.
C’est l’instruction du 5 octobre 1949 qui précise la mission et l’organisation du centre : « le centre est chargé de l’exécution des essais techniques et des expériences tactiques relatives aux engins spéciaux… » Outre la direction, le C.I.E.E.S. comprend alors :
- des éléments permanents (une base aérienne, une base « guerre », des services généraux et des moyens communs) ;
- et des éléments temporaires (sous-directions d’essais techniques et sous-directions d’essais tactiques).
L’activité du centre de Colomb-Béchar va s’organiser autour de deux emprises principales : B0 et B1. A B0, située en bas du plateau désertique dominant l’oued Béchar, débutent les tirs de bombes et de maquettes d’engins. Pour les essais de missiles demandant des gabarits de sécurité plus grands, le site B1, dénommé Béchar-Léger, du nom d’un technicien de Nord-Aviation tué dans l’explosion d’un CT 10, est aménagé de 1948 à 1952 sur le plateau. Il s’agit d’un polygone qui s’étend jusqu’à 25 km vers le nord et 35 km vers l’ouest.
C’est en décembre 1949 que les premiers engins sont testés à B1. Le mois de mai 1950 voit le premier essai en vol du missile air-air M 04 de MATRA tiré à partir d’un avion Halifax. Au cours des années suivantes, on y verra aussi les essais :
- des air-sol AS30, AS 33, AS 34 ;
- des sol-air CFTH 440 et Roland ;
- de largage avec le Vautour et le Mirage IV
- de fusées météo Arcas.
La portée des missiles s’allongeant, il fallut procéder à l’extension du champ de tir notamment à Menouarar, à 60 km au sud de Béchar.
Une autre annexe qui présente de vastes dégagements est mise en service à partir de 1951-1952, à quelque 120 km au sud-ouest de Colomb-Béchar, à Hammaguir. Elle est située sur un plateau (Hamada) dominant le Guir, en plein désert. Le polygone d’Hammaguir, dénommé B2, atteint environ 135 km dans sa plus grande dimension. De mai 1952 à avril 1953, onze fusées-sondes Véronique y sont lancées et les essais s’y poursuivront jusqu’en 1967. C’est aussi à Hammaguir, cette même année, que furent effectués les premiers essais du missile air-air R 510 à autodirecteur électromagnétique de MATRA. Parmi les nombreux systèmes d’armes testés à Colomb-Béchar, il convient d’ajouter, de 1954 à 1958, le missile sol-air PARCA et, en 1955, le système d’arme SE 4200 à statoréacteur et le sol-air R 422.
Les décisions gouvernementales de 1958 concernant la force de dissuasion mettant en œuvre des missiles balistiques vont accroître la mission d’Hammaguir. La réalisation du système d’arme SSBS dont la portée est fixée à 3 500 km nécessite la mise en place de nouveaux moyens et d’un réceptacle dans le Hoggar voire au Tchad.
Figure 2 – Colomb-Béchar
Pour répondre aux nouveaux besoins, quatre bases vont être aménagées à Hammaguir : la base Blandine pour le lancement des fusées-sondes à liquides Véronique, la base Bacchus pour les essais d’engins à poudre, l’activité de ces deux bases s’exerçant essentiellement au profit du CNES, la base Béatrice affectée aux tirs du missile sol-air Hawk acquis aux Etats-Unis pour remplacer le PARCA et les essais de Coralie et de Cora, deuxième étage du lanceur Europa, et enfin la base Brigitte réservée aux engins balistiques et au lanceur Diamant. Les premiers essais des engins à poudre Agate et Topaze du programme des Pierres précieuses des engins balistiques démarrent en juin 1961. Le VE 231 Saphir avec un étage à liquides et l’autre à poudre commence ses essais en 1965. Cet engin, équipé d’un troisième étage à poudre conduit au lanceur Diamant-A dont le premier lancement intervient le 26 novembre 1965. Le premier satellite, en l’occurrence Astérix, est donc mis sur orbite faisant de la France la troisième puissance spatiale. Les quatre premiers lancements de Diamant-A se dérouleront à Hammaguir de 1965 à 1967, de même que ceux des engins S 112, S 01 et M 112 des programmes SSBS et MSBS. On y vit aussi ceux de l’engin de croisière Robot de Sud-Aviation.
Mais le sort du C.I.E.E.S. était scellé depuis mars 1962 et les accords d’Evian donnant l’indépendance à l’Algérie. Le 1erjuillet 1967, ce magnifique champ de tir cessait d’exister. L’expérience acquise au C.I.E.E.S. fut donc très riche et précieuse lorsqu’il s’est agit de concevoir et de mettre en service le Centre d’Essais des Landes et la base spatiale de Kourou. En tout cas, il demeure dans la mémoire des pionniers des missiles et de l’espace français comme le lieu où tout était à découvrir et à inventer et le théâtre de merveilleux exploits.
Jacques Villain
Ancien président de l’IFHE
Article paru dans la revue Espace & Temps n° 2 – Octobre 2007