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Les fusées géophysiques soviétiques (1947-1971)

Les fusées géophysiques soviétiques

L’URSS a réalisé sa première campagne de lancements de fusées du type V-2 entre le 16 octobre et le 13 novembre 1947 (11 tirs dont six échecs) à Kapustin Yar près de Volgograd. Les deux dernières fusées étaient dotées d’un compteur de particules des rayons cosmiques fourni par S.N.Vernov[1] du FIAN (altitude 80 km). La campagne suivante, avec la version nationale R-1, a lieu entre le 17 septembre et le 5 novembre 1948 (9 tirs dont un échec, deux fusées avec l’expérience du FIAN). En 1949, Vernov reçoit le prix Staline pour ce travail.

Puis la version «Académique» (R-1A) est lancée entre le 7 et le 28 mai 1949 : quatre sur des trajectoires balistiques pour tester une ogive récupérable (530 kg) et deux sur une trajectoire verticale (altitude de 100 km) avec deux conteneurs géophysiques FIAR-1 du GEOFIAN[2] (long 1 m, dia 40 cm, masse 85 kg) qui sont récupérés par parachute. Une seconde campagne d’essai a lieu en septembre-octobre 1949 (20 tirs dont trois échecs) : trois fusées sont équipées de FIAR-1. Ce dernier a été élaboré par B.L.Dzerdzeievsky (1898-1971) et E.M.Reïkhroudel (1899-1992) du secteur météorologique du GEOFIAN. Elle comprend des ballons pour prise d’air (B.A.Mirtov), manomètres (V.V.Mikhnevitch), des appareils photographiques, des capteurs de micrométéorites (T.N.Nazarova). En 1950, le prix Staline est remis K.D.Bouchouyev (OKB-1), Dzerdzeievsky, Reïkhroudel et You.A.Vinokour (LII) pour ce travail. Mais à cause du cosmopolitisme de Staline, Reïkhroudel quitte l’institut et les FIAR sont repris par le secteur de la stratosphère de I.A.Khvostikov.

Le décret n°5891-2209ss du 30 décembre 1949 décide d’un programme de fusées géophysiques pour l’étude de la haute atmosphère dirigé par S. I. Vavilov[3], président de l’Académie des sciences (président) et M. V. Keldysh, académicien (vice-président). Il est suivi d’une directive de l’Académie le 20 janvier 1950. La lettre du 2/4/51 V.P.Pechkov[4], secrétaire scientifique de l’académie (AN) à I.G.Zoubovitch, ministre adjoint de l’armement (MV), porte sur la campagne de lancement de six R-1B en avril-juin 1951. La charge utile pèse 1150 kg : capsule de 550 kg et deux conteneurs géophysiques FIAR-2 du GEOFIAN de 300 kg (long 2 m, dia 40 cm). La commission d’état est composée de : Keldysh (président), A.F.Tveretsky (adjoint, chef de Kapustin Yar), S.P.Korolev (chef-constructeur principal de l’OKB-1), V.P.Pechkov et I.A.Khvostikov[5] (AN), A.O.Tevossian (MV), A.G.Mrykine (adjoint 4e direction GAU), N.A.Lobanov (NII PDS, parachutes).

Le programme scientifique, élaboré par l’Académie (A.N.Nesmeyanov), le ministère de la défense (A.M.Vassilievsky) et le ministère de l’armement (D.F.Oustinov), porte sur les phénomènes physiques et l’état de l’atmosphère à haute altitude, les études aérodynamiques liées aux grandes vitesses et le vol d’animaux en apesanteur. Les expériences sont fournies par le FIAN (rayons cosmiques primaires), le GEOFIAN (air à 100 km, pression, direction des vents à 60-80 km), l’institut d’optique d’Etat GOI (composition spectrale des émissions solaires, surtout ultraviolet) et absorption de l’ozone à 50-60 km), le NII-7/NIIAKM (cabine hermétique pour chiens), l’Institut des essais en vol LII Gromov (aérodynamique d’une forme d’aile à faible élongation à Mach 1-4, loi de résistance au frottement à vitesse subsonique). Les six fusées sont prévues pour tester les dispositifs (2 ex), aux recherches scientifiques et animaux (3 ex) et en réserve (1 ex). La programme est signé par Keldysh, Pechkov, Zoubovitch, Korolev, A.I.Sokolov (chef de la 4e direction GAU) et Mrykine. Mais au final, les six vols emporteront des chiens les 22/7/51, 29/7/51, 15/8/51, 19/8/51, 28/8/51, 3/9/51. En 1952, le prix Staline est attribué à A.V.Pokrovsky, V.I.Popov, A.D.Seriapine , V.I.Yazdovsky du NIIAKM pour les vols de chiens sur la R-1B.

Le décret n°345-167ss du 6 février 1953 nomme la commission d’état pour les vols de fusées géophysiques. Elle comprend le général A. A. Blagonravov, académicien (président), E.K.Fedorov, directeur adjoint de l’institut de géophysique  (adjoint), I.A.Khvostikov (institut géophysique), F.F.Davitaia (adjoint GUGMS 1951/59), V.A.Poutokhine (TsAO, fusées météo), M.S.Riazansky (chef 7e glavka MV), S.P.Korolev (OKB-1, R-1), S.N.Chichkine (chef glavka MAP), D.G.Diatlov (chef glavka MCXM), A.D.Nadiradze (NII-642, MR-1), A.G.Mrykine (4e direction GAU), A.A.Kosmodemiansky (TGU). La campagne de tirs de la R-1D comprend trois vols avec chiens les 26/6/54, 2/7/54, 7/7/54. Puis celle de la R-1E comprend six tirs avec chiens les 5/2/55, 25/6/55, 4/11/55, 31/5/56, 7/6/56, 14/6/56.

L’étape suivante était l’utilisation de la R-2 (8J38) pour faire des vols à l’altitude de 200 km. Les trois campagnes de tirs de la R-2 interviennent en septembre-octobre 1949 (5 tirs dont deux échecs), entre le 21 octobre et le 20 décembre 1950 (12 tirs dont 5 échecs), puis entre le 2 et le 27 juillet 1951 (13 tirs dont 1 échecs). Puis 270 R-2 sont lancées en 1952/61 (18 en 1952 + 4 en 1953 + 23 en 1954 + 44 en 1955 + 11 en 1956 + 35 en 1957 + 16 en 1958 + 38 en 1959 + 28 en 1960 + 51 en 1961). La version géophysique R-2A est capable d’emporter 2200 kg à 200 km d’altitude (1340 kg et deux FIAR-3 de 430 kg chacun). Treize R-2A sont lancées de mai 1957 à septembre 1960.

La R-5M donnera naissance à plusieurs fusées géophysiques (R-5A, R-5B, R-5V) qui voleront de 1958 à 1971 (20 tirs). La première version R-5A (Académique) disposait d’une capsule (1300 kg) pour emporter des chiens à 500 km d’altitude. Quatre exemplaires ont volé dans le cadre de l’Année Géophysqiue Internationale (AGI) en 1958. Le 21 février, la fusée n°A1-7 emporte les chiens Palma et Pouchok à 473 km d’altitude. Le 27 août, jour de l’opération américaine Argus, la fusée n°A1-8 emporte les chiens Belianka et Pestraya. Le 19 septembre, la fusée n°A1-10 a servi à l’expérience de nuage de sodium qui sera utilisée avec les sondes lunaires de 1959. Le 31 octobre, la fusée n°A1-11 emporte les chiens Joulba et Knopka. Enfin, un 5e tir a lieu le 15 novembre 1961 (total de 5 exemplaires).

La R-5B a été décidée le 23 février 1960. Elle ne possédait pas d’ogive séparable, mais des moyens de recherche à système de récupération individuelle. Elle était destinée à la poursuite des études sur les couches supérieures de l’atmosphère. Cinq exemplaires ont volé du 18 octobre 1962 au 24 décembre 1963. Les deux premières étaient des R-5B et les trois suivantes des R-5BA. Celles des 18 et 22 octobre 1962 ont servi à l’étude de l’atmosphère pendant les opérations nucléaires K-2 et K-3.

Enfin, la R-5V est proposée par Korolev le 27 juin 1963. La décision de la VPK intervient le 19 février 1964. Le premier vol du 26 septembre 1964 est un échec. Elle est dotée d’une charge utile sous coiffe. Elle doit emporter un observatoire astrophysique d’altitude (VAO) de l’observatoire de Biourakan : deux K-2 et deux K-3 sont préparés en 1965. Deux tirs interviennent les 20 septembre et 1e octobre 1965. Lors du tir du 13 octobre 1966, le K-2 ne donne pas de résultat, tandis qu’une maquette de capsule du vaisseau Soyouz est testée en vol. Un 5e vol intervient peu après. En février-mars 1968, il est décidé de réaliser cinq autres vols. Les tirs ont lieu les 16 mai 1970 (K-2), 3 octobre 1970 (K-2), 28 novembre 1970 (Vertical-1), 20 août 1971 (Vertical-2) et 9 octobre 1971 (K-4). Les K-2 ont permis de préparer le télescope Orion-1 de Saliout-1 (1971) et le K-4 de préparer le télescope Orion-2 de Soyouz-13 (1973).

Dans le cadre du programme Intercosmos, deux fusées R-5V ont été lancées sous l’étiquette Vertikal :

-28/11/70 : Lancement de Vertikal-1 qui atteint l’altitude de 487 km. Les expériences (URSS, RDA, Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie) portent sur le rayonnement solaire ultraviolet et des rayons X, les paramètres ionosphériques et les particules de météores.

-20/08/71 : Lancement de Vertikal-2 qui atteint l’altitude de 463 km. Les expériences (URSS, RDA, Tchécoslovaquie, Pologne, Hongrie) portent sur le rayonnement solaire ultraviolet et des rayons X, les paramètres ionosphériques et les particules de météores.

La dernière fusée géophysique était la R-11A dérivée du missile 8A61/R-11 de Korolev. La première campagne de R-11 a lieu en d’avril-juin 1953 (10 tirs dont cinq échecs). Les essais sont poursuivis en avril-mai 1954, décembre 1954-janvier 1955, janvier-février 1955 avant d’être déclarée opérationnelle le 13 juillet 1955. Les décrets n°789 du 11/6/1956 « Sur la préparation de l’Année géophysique internationale » (AGI) et n°942-509 du 11/7/56 « Sur la conduite des études de la haute atmosphère pour l’AGI à l’aide de fusées verticales » décident du lancement de 340 fusées météorologiques et 26 géophysiques – R-11A (12 ex), R-2A (8 ex) et R-5A (6 ex) – entre juillet 1957 et décembre 1958. En 1957, il y a eu 65 fusées météorologiques (au lieu de 130) et aucune géophysique. En 1958, il devait y avoir 180 fusées météorologiques (dont 10 MR-1, 125 MMR-05 et 45 MMR-08) et 16 géophysiques (7 R-11A, 4 R-2A et 5 R-5A). Les 60 fusées restantes (51 météorologiques et 9 géophysiques) ont été reportées en 1959. La R-11A emporte une charge utile de 374 kg (sphère VGAS de 1 m de diamètre) à l’altitude de 100 km. Les deux premiers tirs de R-11A sont effectués de Kapustin Yar les 4 et 10 octobre 1958. Puis cinq tirs ont lieu de Novaya Zemlya (Arctique) du 31/10 au 25/12/58. Les tirs suivants, de Kapustin Yar, ont lieu les 21/7/59 (2 tirs), 6/9, 19/9 et 21/9/60, 15/2/61 (2 tirs pour étudier une éclipse totale du Soleil), 23/9/61. En 1962, cinq lancements de fusées R-11A-MV ont été effectués pour tester les systèmes de parachute des stations interplanétaires automatiques pour l’exploration de Mars et de Vénus.

[1] Serguei Nikolaievitch Vernov (1910-1982) : Termine l’institut polytechnique de Leningrad en 1931, entre à l’institut du radium, puis à l’institut de physique (FIAN) de Moscou en 1936. A partir de 1947, il place des compteurs Geiger sur les fusées géophysiques. En 1953, il est correspondant, puis académicien en 1968 de l’Académie des sciences. En 1957, il place des compteurs Geiger sur les premiers satellites et sondes lunaires et découvre les ceintures de radiations externes. De 1960 à 1982, il dirige l’institut de physique nucléaire de l’Université de Moscou (NIIYaF MGU). Il est prix d’Etat en 1949, prix Lénine en 1960 et Héros du travail socialiste en 1980. L’équipe de Vernov comprend P.V.Vakoulov, A.E.Thcoudakov, You.I.Lobatchev, etc.

[2] Le GEOFIAN (institut de géophysique de l’Académie des sciences) était dirigé par G.A.Gambourtsev en 1948/55, puis il a été séparé en trois instituts : institut de géophysique appliquée (IPG) dirigé par E.K.Fedorov en 1956/68, institut de physique de la Terre (IFZ) dirigé par M.A.Sadovsky en 1960/88 et institut de physique de l’atmosphère (IFA) dirigé par A.M.Oboukhov en 1956/89.

[3] S.I.Vavilov (1891-1951) : termine MGU en 1914, physicien (luminescence), correspondant en 1931, académicien en 1932, directeur scientifique GOI en 1932/45, Président de la Commission pour l’étude de la stratosphère en 1933/37, directeur FIAN en 1934/51, président de l’Académie des sciences en 1945/51, président de la commission d’étude de la haute atmosphère par fusées géophysiques en 1949/51, mort d’un infarctus le 25/1/51.

[4] V.P.Pechkov (1913-1980) : Termine MGU en 1940, aspirant à l’Institut des problèmes physiques de P.L.Kapitza où il devient directeur adjoint, chef de laboratoire. Il est docteur es sciences en 1946, professeur en 1947, prix Staline en 1947 et 1953. Il est secrétaire scientifique de l’Académie des sciences en 1949/52.

[5] I.A.Khvostikov (1910-1969) : Termine l’université de Leningrad en 1932, aspirant à l’institut d’optique d’Etat où il travaille sous la direction de S.I.Vavilov. En 1938, il passe au GEOFIAN où il organise le laboratoire d’optique de l’atmosphère, devenu secteur de la stratosphère en 1950. En 1954, il est renvoyé et termine au VINITI (institut d’information scientifique et technique. En 1964, il passe à l’observatoire astronomique d’Abastoumani (Georgie). Il est docteur es sciences en 1939, professeur en 1935. Il reçoit le prix Staline en 1949 pour la découverte des nuages argentés. Khvostikov a été accusé d’avoir falsifié les résultats de la recherche (en utilisant de puissants projecteurs militaires), faisant passer l’éblouissement du projecteur pour des nuages ​​​​noctulescents, et après cela, il a été privé du prix Staline et renvoyé de l’Institut.

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